Beaux Arts Magazine n°212 (janvier 2002)

Les échanges du plateau

Anne Kerner

placeholder imageplaceholder image

Un nouveau lieu d’art à Paris

Après sept ans de lutte d’une tenace association de riverains, un nouveau centre d’art contemporain ouvre ses portes le 17 janvier tout près du parc des Buttes-Chaumont, à Paris. Ça va déménager…

« L’esprit de persévérance se fonde sur le principe d’incertitude… » Ainsi commence la longue phrase de l’écrivain
Louis-René des Forêts déployée sur l’un des murs du Plateau pour son inauguration. « Ce texte résume tout ce qui a été fait ici », explique Éric Corne, directeur de la programmation du centre d’art mais aussi artiste et président de l’association Vivre aux Buttes-Chaumont. Tout, c’est-à-dire d’abord une lutte politico-administrative de sept ans. Avec Bouygues, seul repreneur, en 1993, des studios de la SFP rasés dans le but de construire des logements privés. Une bataille menée par les seuls riverains pour défendre leur vie de quartier. « Telle apparaît l’ubiquité du Plateau », insiste Eric Corne. Résultat : 500 logements au lieu de 700, 7 étages au lieu de 10, des équipements publics avec une crèche de 50 berceaux, 100 m² pour lieu d’accueil et 600 m² pour le centre d’art contemporain. Les élus de droite et d’extrême-droite du conseil régional d’Ile-de-France s’en mêlent, étranglent le projet en juin 2000. Mais la pertinence et l’obstination gagnent.
S’ouvre ainsi et enfin, le 17 janvier, dans le XIXᵉ arrondissement de Paris, à quelques enjambées du parc des Buttes-Chaumont, un nouvel espace lié au Fonds régional d’Art contemporain d’Île-de-France, soutenu aussi bien par le conseil régional, le ministère de la Culture et de la Communication que par celui de l'Éducation nationale et par la ville de Paris. Eric Corne semble ne pas encore y croire ! Pourtant, les quatre salles d’exposition et le centre de ressources sont bel et bien là. « Il faut que le lieu soit une sorte d’émetteur-récepteur. Que les artistes s’y sentent bien. Qu’ils y viennent et y reviennent. Qu’ils y soient maîtres de leur temps, de leur création. » Et les mots d’ouverture, de confiance, de relation de se bousculer dans la conversation. « Ce n’est pas un lieu de proximité, c’est un lieu avec la proximité. » Corne croit par-dessus tout à son cheval de bataille, l’échange. Échanges dans le tissu urbain du très proche voisinage. Du foyer des femmes célibataires au bar Fleury de Mme Huguette en passant par le collège et les commerces. Échanges grâce aux actions menées avec d’autres pays comme bientôt la Colombie et le Mexique. Échanges avec les commissaires d’exposition, les critiques d’art pour une parole plurielle. Echanges évidemment au sein même du travail des artistes qui développent entre autre la notion de l’intime, de la sensualité, chère au directeur de la programmation « parce que l’intime est peut-être aujourd’hui l’espace le plus subversif ». Enfin, échanges avec le site de création contemporaine du Palais de Tokyo (cf. p. 80), qui débuteront concrètement avec la circulation de navettes entre les deux espaces pendant les quatre jours d’inauguration. Quatre jours de fête, donc, célèbrent le Plateau du 17 au 20 janvier. Avec un diaporama de Valérie Jouve, une vidéo de Marie Legros, une performance de Fiorenza Menini (ill. My generation, time and history, 2001, performance, © F. Menini), des dessins de Frédéric Bruly-Bouabré, un wall painting de Julije Knifer, comme une sélection de vidéoclips par Denis Angus et de films expérimentaux avec Light Cone.
Bien sûr, la musique et la danse sont au rendez-vous. Aussi bien avec K.mix.K. pour la techno que Jean-Christophe Marti pour la musique contemporaine. À partir du 7 mars, rendez-vous pour l’exposition « Premiers Mouvements » divisée en deux volets, le premier consacré à Robert Filliou, le second aux projets spécifiques d’André Cadere, Hans Jürg Kupper, Marie Legros, Santiago Reyes, Francisco Ruiz de Infante, Dana Wyse… Redonner au quartier des Buttes-Chaumont sa vocation culturelle en soutenant la création contemporaine française, sachant que « la contemporanéité est un tremblement, un déséquilibre ». Tel est le message lancé et passé par Éric Corne avec « la ténacité d’un apprenti-funambule », poursuit le texte de Louis-René des Forêts.

Anne Kerner

© Marie Legros M — 2023 — crédits