Libération (22 août 1997)

Dédales badins

Elisabeth Lebovici

placeholder image

ARTS. Au Crestet (Provence), cinq artistes dressent leur «Carte de Tendre». Un fil conducteur: l'amour.

Dédales badins

A(a)mitiés et autres catastrophes, la Carte de Tendre, Crestet Centre d'art; chemin de la Verrière; 84110 Crestet Vaison-la-Romaine; tél.: 04 90 36 34 85; jusqu'au 1er septembre; catalogue, éditions Actes Sud/Crestet, 70 francs.

Qui eût pensé qu'en effeuillant la marguerite, une oeuvre d’artiste vous resterait dans les doigts en échange? C'est pourtant le cas au Crestet (Provence) avec Ghada Amer (née en 1963). L'artiste demande en effet, par l'intermédiaire d'un petit cartel, de cueillir une marguerite au sein d'un parterre planté pour l'occasion. Puis d'en détacher chacun des pétales en égrenant, comme le requiert la coutume, un chapelet incantatoire: «x m'aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, infiniment, pas du tout». Il vous faudra accepter le verdict de cette comptabilité amoureuse. Mais l'opération marguerite n'est pas terminée. Car en vous déplaçant au loin, dans un coin tranquille et boisé, un carré de gazon là encore, planté pour l'occasion, accueillera le reliquat de vos oraisons. Vous aurez ainsi parcouru la promenade sentimentale concoctée par l'artiste. C'est ainsi que Ghada Amer a répondu à l'intitulé de «Carte de Tendre», emprunté au XVIIe siècle pour l'exposition composée par la jeune critique Nathalie Viot à Crestet centre d'art ­le lieu qui l'accueille. Que l'affaire ait à voir avec Madeleine de Scudery, morte à 94 ans en laissant 29931 pages de texte et plus particulièrement, la Carte en question, ne relève en réalité que du prétexte (l'essai plutôt sexiste du philosophe Michel Onfray, dans le livre-catalogue, n'ajoute rien à la compréhension). Il s'agit en définitive de cinq propositions d'artistes, produites pour l'occasion à l'extérieur de la belle maison du Crestet (ancien atelier d'été du sculpteur François Stahly, vendu depuis à l'Etat qui l'a converti en centre d'art). Des oeuvres des cinq artistes sont installées plus traditionnellement dans des salles d'exposition à l'intérieur de la maison. Ainsi cette géographie peut s'aborder de deux façons, nullement hiérarchisées l'une par rapport à l'autre (ici d'ailleurs, tout se visite gratis): par le dedans, par le dehors, avec la conscience claire de visiter une exposition ou au contraire de la découvrir au hasard d'une promenade ou d'un pique-nique dans la forêt de 7 hectares qui constitue le domaine du Crestet, face au Mont Ventoux. Ainsi peut-on rencontrer en chemin la cabane de chantier, où Marc Quer (né en 1965) à laissé pour tous une inscription incendiaire. Ou découvrir, en y passant le temps nécessaire (20 minutes environ) la tumescence et la détumescence complète des deux «objets lascifs» en latex rose de Frédéric Lormeau (né en 1962). Ou suivre les directions pointées, en pleine nature, par des poteaux indicateurs installés par Didier Trenet (né en 1965) et s'en aller vers «Braquemond», «Chaud Labbé» et «Blanc Manchot». Ou encore s'interroger sur cette façon qu'a l'arbre de se présenter, grâce à Marie Legros (née en 1963), avec cette phrase en néon, «le physique du rôle», qui l’enserre. 

© Marie Legros M — 2023 — crédits